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THE BAD GIRLS BOOK CLUB

4 juin 2023

ANTONIA CRANE

Ne sous-estimez jamais la rage d'une fille de la campagne.
Romy Suskin-

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La vie est une chienne et Antonia Crane l'a très vite compris. Son autobiographie, Consumée, est un combat : plus qu'une ode aux bas fonds de la rue, son histoire est avant tout celle d'une rédemption.

Imaginez une gamine venue tout droit de la cambrousse s'embarquer pour San Francisco pour y trouver le strip tease, la dope et l'argent facile. Rajoutez-y la rage et l'envie de bouffer le monde et vous aurez Antonia Crane. Mais avant de devenir cette militante bisexuelle féministe, fondatrice du « Soldiers of Pole », un mouvement syndical composé de travailleurs et de travailleuses du sexe qui œuvre pour la syndicalisation et la décriminalisation, Crane n'était qu'une énième gosse de la cambrousse, croyant naïvement qu'elle allait mater la ville. Sauf qu'en réalité, dans ce genre d'histoires, c'est toujours la ville qui vous avale...

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L'argent dégueulasse, qui pue la sueur et le geste mécanique. Les positions aguicheuses mais douloureuses, de chorégraphies répétées et éreintantes. Les mains s’agrippant à la barre de pole dance comme on s’agrippe à la dernière lueur d'espoir. Crane a ça de touchant, dans son écriture. Quelque chose de brut, de sombre, mais qui cherche la lumière comme un moustique se cramant sur l'ampoule.

Dans ce livre, Antonia Crane raconte son parcours tumultueux, fait de honte, de dépendance, et de résilience. La pitié n'a pas sa place dans ce récit, même quand elle se fout les doigts dans la gorge pour se faire vomir, dans le seule but de garder un corps compétitif dans ce milieu qui se doit toujours plus bandant. Sa vie est à l'image de ce jet de vomi, instantané, où la survie prime, dans cet équilibre précaire entre le choix et l'acte subi.

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Parfois Stevie, d'autres fois Violet, Antonia se cache derrière des pseudonymes pour mieux attiser les tréfonds du désir humain. Elle y examine sans réserve les dynamiques de pouvoir, les désirs, les fantasmes et les tabous. Elle y défie les conventions et nous fait nous interroger sur nos propres croyances et nos propres limites. C'est qu'il lui en a fallu, du temps, pour reconquérir cette liberté dézinguée par les excès. Car au final, l'histoire de Crane, c'est avant tout une histoire de solitude. Celle de ses clients, mais aussi la sienne, frappée par un drame, celui de sa mère mourante, pour qui elle paiera les soins, jusqu'à la fin. 

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Au-delà de l'exploration de la sexualité, c'est aussi le thème de l'adversité qui est révélé. Antonia Crane raconte son parcours marqué par des moments de vulnérabilité extrême, mais émergeant toujours avec une force et une détermination inébranlables. Son histoire est un témoignage poignant de la capacité de l'individu à se relever, à se réinventer et à se battre pour retrouver son pouvoir et sa propre lumière intérieure. 

Crane est son propre prince charmant, se libérant de ses démons. C'est sans doute la raison pour laquelle ce livre m'a autant marqué: personne ne vient vous sauver, vous n'avez qu'à le faire vous-même. Toujours la seule leçon qui vaille. On ne le répètera jamais assez.

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14 mai 2023

JORDANA LESESNE

Le destin de Jordana LeSesne n'est pas celui d'une pionnière ordinaire. Même si Wendy Carlos a ouvert la voie pour les femmes transgenres dans la musique électronique, le nom de Jordana LeSesne reste aujourd'hui particulièrement méconnu, malgré trois albums quasi mythiques dans les années 90.

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C'est dans la rusty belt que Jordana LeSesne nait, au sein d'une famille peu encline à soutenir une transition. Dès son plus jeune âge, Jordana sait qu'elle est une fille, mais sa mère ne l'entend pas ainsi. Elle dira «qu'aucun de ses fils n'allait être une putain de princesse ». La messe est dite.

A 13 ans, un médecin lui refile des hormones sous la table : LeSesne commence sa transition dans le dos de ses parents mais sa mère met vite un terme à son action en tentant de faire arrêter le médecin qui suit sa fille. Cet épisode, désastreux pour LeSesne, mènera par ailleurs à sa première tentative de suicide.

Même si tout le monde est d'accord pour dire qu'elle n'est pas un garçon, elle doit se comporter comme si elle en était un. Sa vie prend cependant un nouveau tournant lorsqu'elle commence un nouveau job où cette fois-ci, ses collègues ainsi que son superviseur l'encouragent à se présenter en tant que femme. Un premier pas qui lui permet de se libérer d'un passé dont elle ne veut plus.

C'est aussi à ce moment que LeSesne découvre ce qui deviendra le sens même de sa vie : la scène rave. Fascinée par des groupes comme Lords of Acid, LeSesne vend sa guitare, emprunte les vieilles platines de son frère et apprend par elle-même les bases de l'électro, puis gagne rapidement une petite renommée grâce à son remix d'Atomic de Blondie.

Mais les principaux protagonistes de cette scène sont moins ouverts qu'il n'y paraît. Alors qu'elle voyait dans la rave un vecteur pour se connecter avec les gens et leur transmettre des émotions, elle se heurte à la transphobie.
"Tout le monde savait que j'étais trans, mais le seul gars qui était prêt à me laisser jouer … au début de la nuit quand personne n'était là – il ne voulait pas que Jordana se présente, c'est ce qu'il m'a carrément dit, » raconte LeSesne.

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LeSesne se lie pourtant avec Carlos Souslinger et son label Jungle Sky. Elle est y sort son premier opus, Worlds sous le nom de 1.8.7 (nom qu'elle choisira car il n'était pas genré et aussi car elle voulait éviter son dead name).

En 1998, c'est au tour de Quality Rolls, album qui coincide avec l'officialisation de sa transition, qui sort. 72 minutes concentrée de funk et de dance qui changeront l'histoire de la production musicale à jamais. L'éditeur de Flyer Magazine, Daniel Shumate, fait l'éloge de cette nouvelle artiste capable de maitriser pleinement l'art de la jungle tandis que Mixmag fait de LeSesne sa couverture de juillet. Mais même si LeSesne refuse de parler de son identité afin de privilégier sa musique, « je pense que la musique parle d'elle-même » dira-t-elle au Philadelphia City Paper, elle glisse malgré tout quelques Easter Eggs pour ses fans trans dans ses morceaux. Le clip de We Are Not Alone de LeSesne fait également d'elle la première femme trans à avoir une vidéo sur MTV qui tourne en boucle.

En 2000, LeSesne termine sa transition et se lance dans une tournée pour son troisième album, The Cities Collection, une œuvre conceptuelle dont chaque morceau encapsule l'ambiance d'une grande ville américaine. Sony s'intéresse alors à elle, mais lors d'une escale fatidique dans le Kent, LeSesne est attaquée par deux hommes après l'un de ses concerts. Elle subit des lésions nerveuses et perd la sensation entre la bouche et le menton. « La tournée s'est terminée ce soir-là, tout comme une grande partie de ma carrière et la vision optimiste de ne pas devenir une statistique ». Malgré un mandat d'arrêt, la police n'est jamais allée au bout de la procédure et LeSesne s'est rapidement enfuie à Londres après avoir appris que l'un de ses agresseurs ne jure de la retrouver et de finir le travail.

Les choses ne s'arrangent pas pour LeSesne, victime d'un viol, puis renvoyée aux Etats-Unis. Elle retourne à Seattle mais son come back dans la musique ne se passe pas comme prévu. Soulslinger la lâche, la traitant de menteuse et de salope. Elle réalise alors que rien ne sera plus jamais comme avant : alors qu'elle rencontre des fans, elles-mêmes femmes transgenres, LeSesne se heurte, dira-t-elle, à une réalité qui l'enfermera un peu plus dans la solitude : elle n'a rien d'un role model et sa carrière musicale est un échec.

En 2015, Laverne Cox
trouve le soundcloud de LeSesne et lui demande de bosser sur la compo de son documentaire FREE CeCe !, à propos de l'activiste transgenre noire CeCe McDonald qui avait été injustement emprisonnée pour s'être défendue d'une attaque transphobe en 2012. Pour LeSesne, c'est une renaissance.

"Il y a tellement de parallèles - quand j'ai commencé à apprendre son histoire, en particulier comment elle a été élevée... ça m'a vraiment touché. Je l'aurais fait gratuitement. Je me suis dit : "Si c'est le dernier projet sur lequel je travaille, pour lequel je suis connue, c'est ce que je dois faire."

Mais de nouvelles emmerdes arrivent : au milieu de la composition de la partition, le manager de longue date de LeSesne lui a soudainement demandé plus d'argent à moins qu'elle ne commence à sortir avec lui et déménage à Los Angeles. Choquée et craignant qu'il ne perturbe son opus, LeSesne le vire, avant que son ordinateur, qui luttait depuis longtemps, ne lâche. "Je n'ai pu terminer Free CeCe! que parce que l'épique m'a suffisamment avancé pour obtenir un nouvel ordinateur », dit-elle.


Epuisée, LeSesne s'éloigne de Seattle. Elle n'écrit plus, n'enregistre plus et tire un trait sur toutes ses connaissances toxiques et abusives. "J'ai toujours été capable de rebondir, mais peut-être que l'élasticité de ma vie s'est épuisée.N'essayez malheureusement pas de chercher LeSesne ou encore 1.8.7 sur Spotify. Cette dernière est aujourd'hui combinée avec foule d'artistes, sans qu'on puisse déterminer ses propres titres. LeSesne n'est pas naive, elle sait qu'être noire rajoute une difficulté à sa situation, et qui l'empêche d'avoir une visibilité plus accrue, contrairement à d'autres pairs blancs.

LeSesne aimerait pourtant pouvoir revenir sur scène. Mais peut-être qu'il ne reste qu'à nous de lui donner l'opportunité d'exister à nouveau. En l'écoutant, tout simplement, et en lui redonnant sa place, celle qui lui est due.

22 avril 2023

THE PLEASURE SEEKERS / CRADLE [sisters quatro]

Partons en 1964. Patti Quatro a 17 ans et s'emmerde à Grosse Pointe. Les Etats-Unis, comme le reste du monde, sont pris par le démon du rock and roll (pas Satan, les Beatles). Avec sa soeur, Suzi, et trois potes, Diane Baker, Nancy Ball et Mary Lou Bell, Patti forme The Pleasure Seekers. Le groupe devient par la suite une affaire familiale, quand Arlene et Nancy, les deux autres soeurs, remplacent Baker et Ball.

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A peine un an après la formation du groupe, elles signent un contrat avec Hideout Records et sortent leur premier titre Never Thought You'd Leave Me.

Leur frère Michael se charge de les faire tourner dans les boites de la ville de Detroit et leur fait rencontrer d'autres artistes. Très vite, les nanas font salle club: l'idée d'un line up entièrement féminin fait venir facilement les mecs. La rareté du truc entraine une mini tornade dans le Michigan. 

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The Pleasure Seekers ouvrent pour des personnalités comme Alice Cooper et Bob Seger. Jeff Beck devient même un mentor pour Patti. Mais bosser avec le staff est compliqué. Il ne sait pas quoi faire avec ces nanas. Comment les habiller, les promouvoir. Des seins et du cul? Elles n'en n'ont pas. Est-ce qu'elles risquent de se marier et tout plaquer? Leur plus grosse angoisse.

En 1968, elles signent un deal avec Mercury Records et sortent Light of Love. Mais elles veulent un son plus brut, plus dur et décident l'année suivante de changer de nom: Cradle est né.

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Patti se met ensuite à tourner dans les années 70 avec le groupe Fanny puis décide de diriger Cradle Rock Publishing avec sa soeur Nancy.

19 mai 2022

COCA CRYSTAL

“She was sexy, she was young, she was very smart — she was cool.” Lynda Crawford

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Il fut un temps où la télévision ressemblait à quelque chose. Où elle était gage de créativité et d'amusement. Où personne ne cherchait vraiment à plaire, juste à dire ce qu'il y avait à dire. Clair et sans détours.

Quand je suis tombée par hasard sur les vidéos de Coca Crystal sur Youtube, c'était un peu comme rencontrer la Vierge. Je ne comprenais pas vraiment ce que je regardais mais c'est comme si j'avais attendu cette émission toute ma vie : dans quel monde on pouvait s'attendre à voir des débats politiques accompagnés de séances de fumette ? Passer de pensées anarchistes à l'avis culinaire de Debbie Harry ? Je suis toujours partante pour ce genre de conneries mais clairement, Coca Crystal, a, ce jour, comblé un manque dans ma morne existence.

If I Can't Dance You Can Keep Your Revolution, c'était quelque chose d'impensable, un coup de pied au cul à la culture dominante des années 60. Une femme au milieu d'un monde d'hommes, la nuit, à l'arrache, qui déblatérait sur tout et n'importe quoi, tout en prenant soin de montrer, une autre Amérique : celle des laissés pour comptes, dont tout le monde se foutait. Aucune répétition, aucun script, chacun y allait un peu au talent, selon les disponibilités. Il s'agissait de laisser libre court au risque et à l'ennui. Parfois, l'invité était drôle, le propos brillant et puis soudain, ça pouvait juste partir en couilles, ne ressembler à rien, si ce n'est à des conversations embrumées de fins de soirées après avoir trop picolé.

Près de vingt ans à squatter l'antenne pendant une heure, à recevoir sur ce qui servait de plateau des grands noms du rock en passant par le trouduc du coin. Rien ne la prédestinait à ce destin.

Née Jacqueline Diamond, Coca Crystal grandit dans une riche famille de Manhattan, entre un père vendeur de fourrure et une mère ancienne mannequin. Clairement pas à sa place, Coca s'emmerde dans les écoles privées hors de prix que ses parents lui imposent et c'est tout naturellement qu'elle fera un passage éclair à la fac: le temps nécessaire à parfaire son éducation comprenant les joies du LSD et les tours à la case prison pour possession de marijuana.

Grande gueule, Jacqueline Diamond roule sa bosse avant de se vendre pour 35 billets chaque semaine à la rédaction du East Village Other, où elle fait office de couteau suisse. Là-bas, elle y signe sous le nom de Coca Crystal ses premiers articles plus ou moins sérieux, nourris par son activisme politique et sa passion pour le chaos. Dans l'un deux, elle racontera notamment comment elle a fait fuir un cambrioleur en jouant de la guitare.

«Elle était plus mignonne que glamour ou branchée, elle n’a pas influencé la mode mais elle vivait sa féminité comme une performance artistique, à la Debbie Harry. Elle attirait les gens», disait Joan Hawkins.

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Coca Crystal meurt en 2016, en laissant derrière elle un héritage foutrac, incarné par les principaux protagonnistes du Saturday Night Live, sans que nous le sachions vraiment. Elle aurait voulu écrire sa bio, puis voir Drew Barrymore la porter à l'écran. Est-ce que Coca Crystal voyait vraiment la télé comme un art ? Est-ce qu'elle se considérait vraiment comme une figure influente de la contreculture ? Ou voulait-elle juste être connue ? Elle disait souvent que l'émission, c'était « la célébrité pour pas cher ». Il suffit parfois de peu.

Son livre aurait pu pourtant valoir le détour. Outre une courte carrière d'activiste contribuant à balancer des tartes aux pommes à la gueule des conservateurs qu'elle ne pouvait pas blairer, Coca Crystal a également endossé le rôle de mère un peu malgré elle: alors que sa sœur se retrouve en taule au Maroc, son neveu, Gus, un gamin autiste, se retrouve menacé d'être placé dans un orphelinat si elle ne le récupère pas. A 27 ans, la vie de Jacqueline change, s'accompagnant d'un nouveau rôle qu'elle n'avait pas vraiment prévu. L'émission, qui la paie peu, l'oblige à accepter un poste à mi-temps à l'association Manhattan Neighborhood Network, qui gère les chaînes de Public Access TV, où se tourne sa tambouille. Comme une ombre, son gosse la suit partout et se retrouve même au générique en tant que producteur exécutif. Au Local East Village, elle dira de sa vie «non conventionnelle»: «J’ai des horaires de sommeil bizarres, j’ai un enfant chelou, mon chien boîte, mon chat est amoureux du chien, tout est un peu hors des sentiers battus par ici.».

Et pourtant, c'est comme ça qu'on crée les légendes.

3 octobre 2020

PENELOPE SPHEERIS

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Toutes les héroines punk finissent un jour par raccrocher les couteaux. Pour Penelope Spheeris, ça se traduit par un joli petit intérieur minimaliste. On aurait jamais pensé ça, elle qui ne pouvait pas blairer tout ce calme. Au final, le punk, c'est cette réaction quasi épidermique à un je t'aime qu'on fera tout pour transformer en haine. A presque 70 balais, celle qui a conduit d'une main de fer le docu en trois actes intitulé The Decline of Western Civilization, n'a rien perdu de sa crache, malgré les clébards modèle réduit qui courent dans le salon.

Réalisatrice du célèbre Wayne's World, je préfère citer Spheeris en tant que scénariste. Pour Suburbia d'abord, qui raconte la rencontre d'un môme de quinze piges qui s'ennuie profond avec une bande de punkos squatteurs, et puis The Little Rascals, avec son célèbre club, le He-Man Womun Haters.

Mais passionnée par les outsiders des années 80, Spheeris est surtout une voix importante de la musique underground de Los Angeles. Cette espèce de société secrète qui se retrouvait au Masque ou un tout autre endroit où seule l'élite allait du moment qu'elle avait le bon mot de passe (porno rocks, pour les intimes). Sous son oeil, nous avons pu voir évoluer toute une génération de groupes comme X, The Germs, the Circle ou encore Black Flag mais aussi découvrir le quotidien des punks sdf, pris entre drogues, problèmes psy et taule, loin de la gloriole des scènes musicales.

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3 octobre 2020

TANYA PEARSON

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Ecrire sur les femmes dans les 90 est une entreprise complexe et j'en sais quelque chose. Elles ont beau être là, les ressources manquent. Souvent cantonnées à une narration toute masculine dans des magazines mainstream, il est difficile d'en tirer des documents objectifs retraçant des carrière souvent mésestimées, voire oubliées.

Alors, quand Tanya Pearson souhaite écrire un essai sur la représentation des musiciennes dans les médias rock, elle comprend très vite qu'il va falloir mettre les mains dans le cambouis: c'est ainsi que naît son Women of Rock Oral History Project, une base de données qui a pour but de remettre en lumière le travail et l'héritage d'artistes cassées par les tous puissants rock critic actuels et passés. Une manière de recoller les morceaux d'histoire jamais racontées, de remplir le vide d'interviews jamais menées, mais aussi d'apporter un autre son de cloche dans une histoire écrite par et pour des hommes, où les femmes trouvent difficilement leur place.

Plusieurs interviews sont déjà publiées en ligne. On y retrouve Lydia Lunch, Alice Bag, Brie Darling du groupe 70s Fanny, mais aussi Gail Ann Dorsey, bassiste de David Bowie.

Ce projet, qui date de 2014, va donner naissance à un ouvrage, prévu pour 2021.

3 octobre 2020

PROFESSION: ROCK CRITIC

J’ai toujours eu du mal à adhérer aux grosses gueules du rock triomphant des 70s. Pour pas mourir conne, j’ai quand même bouffé mes classiques, lu Lester BangsNick Kent et toute la smala. Parfois j’ai ri, parfois je me suis profondément fait chier, parfois je me suis brutalement énervée. C’était l’histoire d’une injustice qui n’avait pas encore de mots dans ma tête, juste un sentiment dégueulasse qu’on allait me la faire à l’envers.

J’ai tout de suite compris que j’allais pouvoir m’asseoir sur la rébellion tant promise. Même là-bas, faut pas dépasser du cadre. 

Je n’ai lu les travaux de rock critic femmes, comme Ellen Willis, que sur le tard. Première journaliste musique majeure du New Yorker dans les années 60, elle ne s’est pourtant vu offrir une publication regroupant tous ses articles, dans l’ouvrage intitulé Out of The Vynil Deeps qu'en 2011, cinq ans après sa mort. Une autre de ses contemporaines, Lillian Roxon, connue pour être dans le giron de Warhol, sort quant à elle son Rock Encylopedia, une première du genre. C’est un tel succès que le livre passe à l’impression à trois reprises sur la simple période des premiers six mois de sa sortie. Pourtant, cet ouvrage est aujourd’hui dans les limbes de l’édition depuis la mort de son autrice, en 73.

Il faudra attendre 2015 pour qu’une autre rock critic compile son travail à la manière de ses aînées, The First Collection of Criticism by a Living Female Rock Critic, par Jessica Hopper (connue pour ses écrits dans Pitchfork et Spin). Le titre, légèrement foutage de gueule, se veut une provocation frontale sur le désert des rock critics femmes dans le paysage actuel. Il faut dire qu’une fois passée les figures du genre, WillisRoxon ou encore Caroline Coon (très investie dans la scène punk londonienne des années 70), le manège arrête sa tournée avec une certaine rapidité. L’anthologie la plus récente et la plus complète sur un sujet autour de l'histoire du rock (et cette fois-ci, féminin), Rock she wrote, par Evelyn McDonnell et Ann Powers, date de 1995. 

On pourrait s’interroger sur ce manque pendant des heures. Pourquoi la gloriole colle aux tripes des hommes mais pas à celles des femmes? Cette espèce de starification de la bite, basée sur celui qui s’enfilera le plus de coke dans les narines. Live fast, die young. Espèce de credo premier prix pour un masculinisme blanc dégoulinant de clichés. 

Kathy Miller, la protégée de Roxon, se rappelle d’un échange surréaliste avec un rédac chef réclamant une fellation pour publier son article sur les Who. C’était dans l’ordre des choses: une femme n’est qu’une groupie qui se doit d’être à disposition des envies des hommes et certainement pas là pour construire une histoire où elle se doit de rester en marge. 

Une vision assez éloignée de la libération prônée par le rock, désespérément conservatrice quand il s’agissait des femmes. 

Pourtant, croire que ce petit monde se sclérose aujourd’hui autour de quelques noms est une erreur. L’histoire de la critique rock au féminin est une réalité qui évolue et s’organise autour de questions autrefois réduites à néant, intégrant les notions de féminisme, de race et de genre. Pour l’exemple, l’essai de Mimi Thi NguyenRiot Grrrl, Race, and Revival va dans ce sens et apporte un éclairage nouveau sur l’histoire du rock  et des musiciennes plus particulièrement par ce biais. 

Notre panthéon est rempli de Christgau ou encore de Klosterman. Peut-être qu’il est temps d’y rajouter maintenant d’autres noms qui ont aussi contribué à la construction de l’histoire du rock. Parce qu’elles sont là, et qu’elles aussi ont apporté leur pierre à l’édifice. 

Kandia Crazy Horse, c’est l’âme du southern rock. Plume régulière du Village Voice, elle a également écrit l’ouvrage Rip It Up: The Black Experience in Rock and Roll, qui remet en perspective l’héritage des musiciens noirs dans le rock.

Holly George-Warren, qui, dès la fin des années 70, a écumé les scènes underground d’East Village avant de devenir membre du groupe punk Das Furlines. Elle écrit pour des fanzines, avant d’être nommée éditrice de Rolling Stone Press où elle sortira The Rolling Stone Book of women in Rock: Troubl Girls, en 97. 

On peut aussi citer Vivien Goldman, aka the punk professor, connue pour avoir posé les premiers mots sur les mouvement punk et raggae dans les pages du NME et du Melody Maker. Spécialiste de Bob Marley (elle a été son attachée de presse chez Island Records), elle a également écrit une émouvante tribute pour Poly Styrene publié dans Village Voice qui reste encore aujourd’hui sans doute l’un de ses meilleurs papiers.

Du côté des sixties, il est important de citer Lisa Robinson, qui a fait ses premières armes au sein de Creem, du NME et du New York Post où sa collection d’interviews des plus grandes rock stars de l’époque est longue comme un jour sans pain. Elle est aussi l’une des rares personnes à avoir interviewé Freddy Mercury à la télévision, en 1984 et se payait le luxe d’accompagner les Rolling Stones en tournée dans les années 70. 

Sara Marcus, quant à elle, est la voix ultime du riot grrl 90s avec son ouvrage culte: Girls to the Front: The True Story of the Riot Grrrl Revolution, à posséder dans sa bibliothèque. 

A.C. Rhodes, qui a lancé en 2007 rockcritics.com, une ressource inestimable pour toute scribouilleuse en devenir.

Sylvie Simmons, vieille garde du magazine Mojo et bible incontestée des 70s. L’une des rares à son époque à avoir réussi à intégrer le cercle très fermé des rock critic sur lesquels on devait compter. A lire, sa bio sur Serge Gainsbourg, Pour une poignée de gitanes.

Jaan Uhelszki, co fondatrice du magazine Creem, et qu’on a pu retrouver régulièrement à partir des années 80 dans l’émission sur VH1 Behind the Music. On peut la retrouver dans plusieurs publications telles que RelixRolling Stone ou Uncut.

Deena Weinstein est un peu la prof de fac dont on a toujours rêvé: docteure en sociologie le jour (où on étudie pêle-mêle en classe FoucaultHarry Potter et l’art de la gniole), elle se transforme en spécialiste de heavy metal une fois le soir tombé. A lire, son Heavy Metal: The Music and its Culture.

18 juillet 2020

VALI MYERS

The center of life is female - we all come from our mothers. I've always drawn women or female spirits. I feel deeply about this - who gives a damn about some guy on a cross? 

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Vali Myers est la tante que j'aurais rêvé d'avoir. Extravagante, exhubérante. Celle avec qui on se fout une murge dans le bar du coin? ou encore chier sur des expos convenues, la désespérance dans le regard mais le rire toujours prêt à dégainer aux coins des lèvres.

Myers a tout vu, tout vécu. Bohemian chic, danseuse de night club, hobo sur les trottoirs de Saint Germain de Prés, mais surtout dessinatrice. Errant entre Melbourne, l'hôtel Chelsea, l'Italie et la France, aux côtés de Genet, de Dali et de Cocteau, Myers a pris la flamboyance comme crédo. On ne vit qu'une fois, dira-t-on, et il est difficile de dire que cette artiste n'a pas suivi ce conseil à la lettre, jusqu'à sa mort, en 2003.

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7 juin 2019

LE BON MOT DE JESSICA HOPPER

Us girls deserve more than one song. We deserve more than one pledge of solidarity. We deserve better songs than any boy will ever write about us.

30 mai 2019

SHONEN KNIFE

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Est-ce que le punk 80s aurait pu être le punk 80s sans les Shonen Knife? Bizarrement, je n'ai jamais été une grande admiratrice des Ramones, grosse source inspi du groupe, mais dès que j'entends un titre des Shonen Knife, j'ai juste envie de sécher les cours et d'aller zoner au drugstore du coin.

Il y a cette espèce de naiveté toute enfantine qu'après le chaos, la lumière renait. C'est pour ça que j'aime beaucoup le pop punk, parfois et surtout celui de Shonen Knife. Cobain devenait hystéro en les entendant (d'après ses propres mots au Melody Maker, ce groupe le transformait en une groupie de dix neuf balais à un concert des Beatles) tandis que John Peel passe régulièrement leurs titres sur la station de la BBC. L'aventure us de ces japonaises commence en effet dès le début des années 80, quand le label d'Olympia, K Records, découvre leur cassette Burning Farm. Finalement, c'est en 86 sur Sub Pop qu'elles publient leur premier disque sur le sol américain, Pretty Little Bake Guy, devenant par la même occasion une influence pour les groupes de la scène alternaive de l'époque.

Les Shonen Knife avaient ce côté touche à tout, passant de la pop au hardcore avec une facilité déconcertante, parlant principalement de bouffe, d'animaux, de balade à vélo et de soleil.

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