ANTONIA CRANE
Ne sous-estimez jamais la rage d'une fille de la campagne.
Romy Suskin-
La vie est une chienne et Antonia Crane l'a très vite compris. Son autobiographie, Consumée, est un combat : plus qu'une ode aux bas fonds de la rue, son histoire est avant tout celle d'une rédemption.
Imaginez une gamine venue tout droit de la cambrousse s'embarquer pour San Francisco pour y trouver le strip tease, la dope et l'argent facile. Rajoutez-y la rage et l'envie de bouffer le monde et vous aurez Antonia Crane. Mais avant de devenir cette militante bisexuelle féministe, fondatrice du « Soldiers of Pole », un mouvement syndical composé de travailleurs et de travailleuses du sexe qui œuvre pour la syndicalisation et la décriminalisation, Crane n'était qu'une énième gosse de la cambrousse, croyant naïvement qu'elle allait mater la ville. Sauf qu'en réalité, dans ce genre d'histoires, c'est toujours la ville qui vous avale...
L'argent dégueulasse, qui pue la sueur et le geste mécanique. Les positions aguicheuses mais douloureuses, de chorégraphies répétées et éreintantes. Les mains s’agrippant à la barre de pole dance comme on s’agrippe à la dernière lueur d'espoir. Crane a ça de touchant, dans son écriture. Quelque chose de brut, de sombre, mais qui cherche la lumière comme un moustique se cramant sur l'ampoule.
Dans ce livre, Antonia Crane raconte son parcours tumultueux, fait de honte, de dépendance, et de résilience. La pitié n'a pas sa place dans ce récit, même quand elle se fout les doigts dans la gorge pour se faire vomir, dans le seule but de garder un corps compétitif dans ce milieu qui se doit toujours plus bandant. Sa vie est à l'image de ce jet de vomi, instantané, où la survie prime, dans cet équilibre précaire entre le choix et l'acte subi.
Parfois Stevie, d'autres fois Violet, Antonia se cache derrière des pseudonymes pour mieux attiser les tréfonds du désir humain. Elle y examine sans réserve les dynamiques de pouvoir, les désirs, les fantasmes et les tabous. Elle y défie les conventions et nous fait nous interroger sur nos propres croyances et nos propres limites. C'est qu'il lui en a fallu, du temps, pour reconquérir cette liberté dézinguée par les excès. Car au final, l'histoire de Crane, c'est avant tout une histoire de solitude. Celle de ses clients, mais aussi la sienne, frappée par un drame, celui de sa mère mourante, pour qui elle paiera les soins, jusqu'à la fin.
Au-delà de l'exploration de la sexualité, c'est aussi le thème de l'adversité qui est révélé. Antonia Crane raconte son parcours marqué par des moments de vulnérabilité extrême, mais émergeant toujours avec une force et une détermination inébranlables. Son histoire est un témoignage poignant de la capacité de l'individu à se relever, à se réinventer et à se battre pour retrouver son pouvoir et sa propre lumière intérieure.
Crane est son propre prince charmant, se libérant de ses démons. C'est sans doute la raison pour laquelle ce livre m'a autant marqué: personne ne vient vous sauver, vous n'avez qu'à le faire vous-même. Toujours la seule leçon qui vaille. On ne le répètera jamais assez.